CNES / JAMEL DESSINE LA LUNE
CENTRE NATIONAL D’ETUDES SPATIALES / (CNES) Commanditée à mon cordonnier Djamel, une série de dessins sur l’odyssée spatiale de la NASA, de la petite Laïka et du tovaritch Yuri Gagarin. Encre, feutre, graphite, peinture gouache, pastel, acrylique, média mixte Format 21 x 29 cm Poster édité par le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES)
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La première fois que je me suis arrêté devant la devanture de cette cordonnerie, je fus soudainement atteint de diplopie, vision dédoublée de cet univers visuel inconnu et de ces images qui me paraissaient pourtant si familières. Je découvris un parterre d’affiches de l’histoire du cinéma totalement revisitées : Métropolis, Malcom X, Kill Bill, La Nuit du chasseur, Blow Up, La Planète des singes… Il était difficile de reconnaître l’image originelle. Elle avait été digérée, transformée et retranscrite. On ne voyait plus le trait, seul un amalgame de formes qui nous faisaient entrer dans cet autre monde. Djamel, cordonnier de son état, semblait doué d’un don de copiste éclairé, maitrisant l’art de la soustraction comme de l’addition. Gouache, crayon de couleur, stylo-bille, graphite, tout semblait propre à être utilisé. À cette époque, j’organisais une exposition d’images de la conquête spatiale dans la vitrine de mon plombier Momo qui allait bientôt devenir la MoMO galerie. Cette exposition, Le Rêve de Laika, rassemblait des photographies originales de la Nasa des missions Apollo et Gemini que j’avais réunies au gré de longues recherches. Je souhaitais au départ m’imprégner des qualités intrinsèques de ces images scientifiques et médiatiques : cadrage, composition, lumière, frontalité, pour réaliser plus tard une archive photographique de cette mission spatiale fictive, Apollo 21. Ces images officielles : des astronautes, en mission de survie dans le désert, habillés de leur parachute, ressemblent curieusement à des Bédouins, et les sièges de vol moulés sur mesure à des chaises électriques. De quoi alimenter les thèses les plus hasar- deuses. Dans ce jeu de la fiction et de la création de l’histoire, l’idée de commanditer à ce cordonnier dessinateur une archive dessinée de la conquête de l’espace s’imposa immédiatement. Malgré le trouble rétinien durable que dégagea cette première rencontre avec son travail, j’attendis pourtant une année avant de franchir le pas-de-porte de son échoppe au détour d’un talon décollé. Il accepta mon étrange commande sans sour- ciller, dessinant à ses heures perdues avec un matériel qu’il récupérait au fur et à mesure : feutre blanc pour écrire sur les vitres des brasseries en fin de vie, supports découpés dans du packaging, documents des Hôpitaux de Paris, agrégats et textures improbables. Le résultat, quelques semaines plus tard, était flamboyant. Innombrables portraits officiels de Youri Gagarin avec ceux des astronautes noirs, la chienne Laïka et l’alunissage d’Apollo 11 ainsi que quelques images mythiques de 2001, l’Odyssée de l’espace prolongeaient cette archive fictive comme les paysages fantasmés de Stephen Ellcock. C’est ainsi que naquit cette autre histoire de la conquête spatiale. Il advient parfois que les visions conjuguées d’un cordonnier et d’un artiste donnent naissance à une nouvelle histoire du monde qui, tel l’univers qui nous entoure, est peut-être sans fin.
Romaric Tisserand |