FIGURE MAGAZINE – ( PIERRE-MARIE OUM SACK ou la vie philosophique d’un cordonnier enthousiaste )- INTERVIEW – by Romaric Tisserand

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(TENIR DEBOUT PAR SOI-MÊME)

Texte de Romaric Tisserand
Photographies de Anaïs Barelli
TEXTE INTEGRAL
( english version below) 

Pierre-Marie Oum Sack est un cordonnier bottier qui aime travailler le soulier et les hommes. Il exerce son talent depuis qu’il s’est découvert une patience et une vertu que seul l’amour des formes et des souliers sur-mesure invoquent. Né à Yaoundé au Cameroun en 1964, il s’installe ensuite à Paris faire ses études de philosophie à la Sorbonne et de sociologie à l’Université de Paris V et engage simultanément l’apprentissage de bottier orthopédique afin d’adoucir les souffrances du corps et de l’esprit. Il livre ici ses pensées sur le monde d’aujourd’hui, la notion de liberté et de l’urgence de penser avec de nouveaux outils.  » Les gens ont acquis le savoir-avoir mais on perdu le savoir-vivre  » me dit-il. A qui la faute ? Aux déconnections contemporaines dans lesquelles nous nous sommes perdus : le temps (perdu), la nature (rationalisée), et l’autre (numérisé).

Il faut remonter en 1599 pour retrouver la dernière figure connue du philosophe-cordonnier, Jakob Böhme (1575 -1624), qui fut l’un des esprits éclairés de son temps pratiquant la perfection du geste comme celui de l’esprit. Trop mystique à son goût pour Pierre-Marie Oum Sack qui se veut un cordonnier-philosophe passé par le prisme vertueux de la sociologie contemporaine. Un rapport au monde qui exclut tout le mysticisme et le divin de son illustre aïeux. Pierre-Marie Oum Sack préfère la pensée libre et la notion d’enthousiasme comme outil fondamental du progrès de l’homme.

Quand il parle de la question d’être soi, il parle de la difficulté d’être soi, d’être de ce monde et de la nécessité absolue de l’autre.  » Tenir debout par soi-même » est sa canne philosophique : être dans le monde et être un monde soi-même.

Quand j’évoque la présence dans la vitrine de la cordonnerie du portrait de Nelson Mandela tatoué sur un casque de moto revetu de cuir, Pierre-Marie Oum-Sack dépasse tout de suite la question de son africanité pour s’attacher à la notion d’universalisme du combat de cet homme. Il salue Franz Fanon et Aimé Césaire, mais c’est vers des philosophes allemands, découverts à Paris, qu’il se sent proche. Il ne découvrira les penseurs africains que bien plus tard, peu édités et difficiles à trouver. Sa négritude, il la retrouve dans l’espoir, dans l’application de son art et de sa pensée libre et autonome. Pas dans l’esprit froid qui critique, mais l’esprit qui discerne, assemble et construit. Son sujet de thèse de philosophie à la Sorbonne était celui de l’Enthousiasme. Il envisage la pensée autonome et fondatrice de l’homme, loin de la notion de sagesse africaine vers laquelle l’homo occidentalis renvoie l’homme africain sans cesse. Car, pour lui, la sagesse est pour lui profondément trop politique et morale. Elle exclut finalement toute liberté de pensée car elle ne peut pas être contredite.

C’est la cordonnerie qui va lui permettre de rencontrer les gens, d’affiner sa vision du monde et d’atteindre la perfection du geste bien fait : le glaçage, les patines, les reprises et les conversations. Car Pierre-Marie Oum Sack parle beaucoup, questionne beaucoup. C’est dans cette petite boutique de cordonnerie-librairie philosophique de la rue Blomet dans le XVème arrondissement qu’il s’applique à partager son art et à travailler avec un ami architecte à dessiner les futurs modèles philosophiques : le mocassin Schopenhauer, la botte Rousseau, le derby Aristotle, la boucle Nietzsche.

Dans sa vitrine trône, parmi les chaussures et les formes, « La Mal-Mesure de l’Homme  » de Stephen Jay Gould.  Quand je lui demande pourquoi il ne réalise presque plus de chaussures sur-mesure ? la réponse est sans appel : « Parce que les clients ne savent plus attendre. »

RT – Pourquoi fait-on des études en philosophie et en sociologie pour finalement s’occuper des souliers ?

OS – Etudiant à la Sorbonne, je me ruinais en souliers. Dans tous les magasins où j’allais, les vendeurs étaient très enthousiastes de me voir. Ils trouvaient que les sapeurs africains avaient du goût. Ils étaient surtout de bons vendeurs. Moi cela me révoltait parce que j’étais réduit ainsi à un simple clivage et surtout que j’aimais des choses que je ne pouvais pas faire moi-même. Je me souviens d’avoir acheté une sublime paire de souliers en crêpe des années 30 qui avaient malheureusement durcis avec le temps. Je les avais amenés dans une grande maison de cordonnerie parisienne qui me les avait littéralement détruites. J’étais donc allé alors voir le patron qui m’avait dit cravaté dans sa blouse blanche immaculée  » on a fait ce que l’on a pu, on ne peut rien d’autre ». En sortant de là, je me suis dis qu’il fallait que j’apprenne le métier pour faire mes chaussures moi-même.

RT – Comment est né ce désir de travailler le cuir et les formes ?

OS – Pour la passion de ce qui est bien fait, du beau, du travail artisanal. C’est un esprit de perfectionnement qui est assez proche de la démarche philosophique si on y regarde de plus près. J’ai une collection personnelle d’au moins une centaine de souliers que je porte, et c’est aussi parce que je suis un peu autodidacte dans ce travail là que j’ai une grande liberté. Quand j’ai voulu apprendre le métier, je suis allé voir des bottiers et aucun d’eux avaient le temps de me former. Ils m’ont alors conseillé de passer par la podo-orthèse qui se rapproche le plus de la botterie car c’est du sur-mesure appliqué à un handicap précis. J’ai appris la maîtrise des techniques et j’ai vu des réalisations sublimes comme ces chaussures à étages, autrement plus compliquées que le sur-mesure. Certaines s’emboitaient l’une dans l’autre. C’était de l’art.

RT – La chaussure est finalement un objet très intime. Peut-il se créer un lien spécial entre celui qui donne ses chaussures à réparer et celui qui les travaille ?

OS – La notion intime de l’objet n’est évidente que dans la mesure ou le propriétaire a lui-même avec ses propres souliers un rapport presque fétichiste, quand il veut bien le montrer. Toucher, manipuler, sentir est important. Le moindre accroc est comme si tu avais blessé la chaussure. A l’opposé, certains clients m’apportent des chaussures dans des états effroyables et attendent que je les guérisse. Vu mon parcours, je n’ai pas la même vision du métier que le cordonnier qui n’a fait que cela. Il y a des artisans qui ont des démarches très esthétiques voire aussi spirituelle. Les autres font un calcul simplement économique, basique, le couple du plus grand bénéfice : avoir un atelier tout petit, ne pas discuter avec les clients et gratter, gratter. Alors que moi je perds le temps pour discuter. En fait, je gagne en temps perdu à échanger, à poser des questions. En général, je demande toujours leurs occupations, leur métier, leurs projets. Cela me donne aussi des raisons d’être là.

RT – La chaussure, serait-elle alors pour toi le prolongement du pied, de la marche, du mouvement, et de la déambulation dans le monde ?

OS – Les chaussures m’ont toujours fasciné car elles permettent d’aller plus loin que là où nous sommes. Mais elles ne te fascinent pas plutôt parce que tu as plus conscience que ton pied est entouré, qu’il y a quelque chose qui te protège ?

RT – Je ne sais pas. Aujourd’hui je porte le modèle des Zizi Jeanmaire de Repetto. Je le porte parce que j’ai envie de les oublier. Quand je mets des doubles boucles Lobb ou un double cousu norvégien, c’est pour adhérer au monde ou être sur un socle. J’ai également des Jodhpurs anglaises qui sont une expérience plus esthétique dans un chausson plus fin. Peut-être existe-t-il une raison à cela?

OS – Il n’existe pas encore de pensée de l’accoutrement en général ni en sociologie. Mais qu’est-ce qui peut faire que quelqu’un se représente aussi bien dans une chaussure que dans un chapeau ou une veste.

RT – Le soulier est aussi un statut. La société nous vend le succès et la célébrité et le soulier concourt à cela mais finalement n’a-t-on pas juste envie de vivre pied nu ?

OS – Nous sommes tellement accaparé par le regard de l’autre que l’on ne se regarde même plus et nous en souffrons terriblement. Notre rapport à la nature, au vivant, c’est énormément détérioré. La soulier est un peu une échappée belle à tout cela. Je suis camerounais mais aussi africain de nationalité française. Je reste très attaché à ce que je suis. Peut-etre que d’être africain a l’avantage de se protéger de cette névrose. Là où en Afrique le système est défaillant, la solidarité familiale résorbe les traumatismes à la base. Les choses sont baignées avec une plus grande insouciance.

Un écrivain polonais écrivait ceci au sujet du bonheur. Il s’agit de l’histoire d’un promeneur qui rencontre un homme sous un réverbère qui semble chercher un objet perdu. Son attitude l’interpelle. Il finit par lui demander ce que l’homme cherche. L’homme lui répond qu’il cherche sa clé qu’il a perdu et dont il a besoin pour rentrer chez lui. Il se propose de l’aider à chercher sa clé en vain autour du réverbère. Le promeneur finalement demande à l’homme où il a perdu sa clé. L’homme lui répond « là-bas » en montrant du doigt un endroit dans l’obscurité. Le promeneur lui demanda alors  » mais pourquoi ne va-t-on pas la chercher là-bas ? « . L’homme lui répond  » Parce que là-bas il fait noir. »

C’est comme une sorte d’avidité et d’absurdité à laquelle est mélangée une certaine frustration qui fait qu’aujourd’hui les gens ne savent plus pourquoi ils vivent. Pourquoi les gens ne se mettraient-ils pas en solidarité pour faire ces productions indépendantes; cela serait de la résistance ?! J’adorerais voir des multitudes de films, lire de nouveaux auteurs. Pour moi, des gens comme Jamel sont des gens enthousiastes. Ils ne pensent plus, ils font car ils doivent le faire. Tout ce qui importe maintenant dans le monde, c’est la culture, l’ouverture, la rencontre, l’échange. Le cadre de la cordonnerie, en ce qui me concerne, est peut-être un des lieux les plus privilégiés pour faire des rencontres.

RT – Tous ces livres perchés sur les étagères, les as-tu lu ? Sont-ils le fil rouge vers un futur essai, un manifeste ou un roman ?

OS – Non, comme d’habitude on n’a pas tout lu. Ce sont des livres qui s’inscrivent dans mon champ intellectuel et que je rassemble ici. Ils sont là pour rayonner et se rendre disponible. J’ai une méthode de lecture qui fait que je rapporte tout ce que je lis à mon travail et mes intuitions intellectuelles qui sont liées à l’enthousiasme, le politique ou le génie. Je travaille sur un essai philososphique sur le génie et également sur un roman. J’ai toujours un carnet avec moi lorsque je travaille. Lors de mes études sociologiques et philosophiques,j’ai travaillé la conception hégelienne du christianisme et en sociologique sur l’enthousiasme et ces deux thèmes restent encore très vivaces en moi.

RT – L’enthousiasme avait l’air un sujet très intuitif alors que tes recherches en philosophie sont restées très académiques.

OS – L’enthousiasme n’avait pas été un sujet théorisé. Je suis parti de la signification originelle. A savoir que l’enthousiasme, c’est le fait d’être habité par des puissances. Mon philosophe de prédilection est le philosophe allemand Hegel. L’idealisme allemand est une philosophie critique qui veut élever la philosophie au même niveau que la science avec la volonté comme élément fondateur de l’intellect. L’idéalisme, c’est la pensée qui se pense elle-même, qui se réflechit, qui est autonome et qui ne veut pas dépendre d’une puissance extérieure. L’enthousiaste est habité par une pensée vigoureuse. On rejoint Hegel.

RT – Le travail de la pensée reste une pratique très occidentale alors que lorsque l’on pense au continent africain, c’est comme un continent de sagesse ancestrale.

OS -Oui pour la philosophie européenne dans la façon dont elle est formulée, dans son enseignement. Mais la philosophie se distingue de la sagesse par le fait que la sagesse épouse une morale, plutôt intangible, non critique et non criticable. La sagesse est sagesse. Point. Elle est dogmatique.

Pour Hegel, la pensée qui est capable de transformer le monde. Il est une philosophie anti-christique où la puissance n’est plus le divin mais la raison. C’est Descartes qui a ouvert le chemin et les philosophies allemandes ont parachevés ces intutions cartésiennes. Dans ce sens , je suis sorti du divin mais je suis dans le démon de Socrates, celui de mon propre démon intérieur. Pour Hegel, c’est ce démon qui est dans la détermination, dans l’abstrait et qui éclaircit dans le cheminement de la vie. De sorte que la finalité de cette philosophie, c’est ce que l’homme obtient la liberté, car l’homme est son propre devin, son propre génie. L’enthousiasme serait alors la vie aboutie de cet homme en mouvement habité par son démon, dont Nietzsche élabore les deux branches balançant entre la colère de l’esprit apollinien et l’extase de de l’esprit dionysiaque. Car l’enthousiasme peut aussi être froid et terne. Regarde le moine dans son cloitre, on ne peut pas dire qu’il n’est pas habité par Dieu. Cependant,  il est enthousiaste mais pas dans l’effervescence.

RT- Dans la vitrine de ta cordonnerie trône en évidence un ouvrage qui raisonne comme une référence plutôt inattendue ?

OS – Il s’agit du livre « La Mal-Mesure de l’Homme » de Stephen Jay Gould qui met à jour et démonte toutes les mécanismes du racisme et du déterminisme biologique. Je l’ai mis en vitrine parce c’est un livre fondamental qui résume quels hommes nous sommes devenus. Il explique toutes les idéologies qui ont conduit au test d’intelligence, à la biométrie, la taxinomie, aux catégorisations des délinquants, à définir des faciès criminels a priori. Des classifications raciales qui ont abouti à la justifications de toutes les idéologies racistes modernes. Le test de l’intelligence est le plus contemporain et plus insidieux et on le retrouve aujourd’hui dans le monde de l’entreprise. Un grand philosophe a dit que L’homme était à la mesure de l’homme mais je dirais que l’homme est la mal-mesure de l’homme. Tout ce qu’il a fait jusqu’ici n’a pas permis d’éviter les catastrophes du monde, de s’approprier sans prendre la mesure des enjeux de la vie.

RT – Tu parlais de biométrie. je suis très lié à l’archive photographie et j’ai été fasciné par les archives pénitencières, ce que l’on appelle plus communément les « mugshots » et qui relèvent le profil des personnes interpellées et de voir comment on a finalement créer des visages criminels.

OS – Ce qui est intéressant c’est le fait que Stephen Jay Gould soit un biologiste et non pas un criminologue. C’est toute la science de la classification. Pour moi l’intelligence n’est pas quelque chose qui existerait a priori, ancré dans le profond de l’intellect de certains et pas d’autres. L’intelligence, c’est de se mettre d’accord sur la vie, car l’homme tout seul n’est pas intelligent. On ne peut être intelligent qu’à deux et dans la mesure où cette interaction et leurs contradictions contribuent à assurer la création et la permanence du commun. Dans les années 90, l’idée d’un nouveau concept d’intelligence émotionnelle s’est répandit et voulait dépasser la classification périodique du Q.I, par celle, plus politiquement correcte de l’émotion qui fut la grande perdante finalement. Les protocoles s’affinent et la terreur perdure…Je pense encore une fois qu’il faut être ouvert au monde, être reçu par le monde. Il s’agit tout simplement de créer une nouvelle voie de sociabilité. une nouvelle façon de vivre. Tu vois, les philosophies comme celle de Schopenhauer un peu nihiliste disait que l’homme est pris entre la vie et la mort, entre la souffrance et la douleur, cristallisant toute son energie dans l’art la création pour repousser la mort.

Je pense aujourd’hui que l’on en est arrivé là. Moi quand j’ai fais mon apprentissage, j’avais comme camarades, des neo-bacheliers, qui ne comprenait pas ce que je faisais là. Je leur disais que je cherchais la liberté et ils ne comprenaient pas non plus. Etre libre pour moi cela voulait dire, qu’une fois que j’ai depassé cette contrainte sociale (ne pas taper sur mon prochain, payer mes impôts, vivre en societé), je me retrouve dans ce que j’aime faire. J’ai crée mon monde.

RT – Tu as crée ton propre monde et en as-tu laissé la porte ouverte ?

OS – Evidemment. Il y a un psychologue, Alain Ehrenberg qui a écrit un livre que j’aime beaucoup qui s’appelle « La Fatigue d’être soi », qui expliquait les consommations de psychotropes par le fait que l’individu moderne était fatigué et dans l’incapacité de porter les nouvelles valeurs de liberté et d’émancipation. J’essaie d’être attentif à ce qui se passe autour de moi et de le partager.

RT – On n’arrête pas de nous rabâcher tous les jours les mots « Démocratie » et « Liberté » alors que j’ai l’impression que nous nous sentons de moins en moins libres de nous-même?

OS – Justement. Mais ceux qui finissent par consommer, se suicider, etre fatigués d’etre soi en définitive, c’est qu’ils ne trouvent pas un terme de contestation de la vie et, tu n’y as peut-être pas pensé mais moi c’est comme cela que j’expliquerais ta démarche avec ton plombier pour la MoMO galerie. C’est cela que j’appelle nouvelle sociabilité.

RT – Tu répares les souliers tout en ouvrant un café-bibliothèque dans ta cordonnerie. C’est tellement inattendu que tu ne peux finalement que réussir.

OS- Evidemment. Les gens pensant que c’est impossible, car improbable, réalisent alors que c’est possible et sont attirés. Parce qu’ils sont eux-même à la recherche d’un nouveau souffle. Tout le monde se sent triste. Aujourd’hui la vie est très dure, très violente, frustrante avec un niveau de stress et de contrainte terrible. Ce n’est pas seulement dans le monde de l’entreprise avec les questions de performances, c’est aussi dans la relation sociale et même intime.
Je vois aujourd’hui une certaine violence gratuite comme quelqu’un qui est assis et d’un seul coup il va s’acheter un couteau et commence à planter des gens dans la rue.

Aujourd’hui les gens veulent ressembler à ce qu’ils ne sont pas et prétendent savoir ou être ce qu’ils ne sont pas. Avant, les gens justifiaient leur position. En sociologie, il existe la classe de référence et la classe d’appartenance et avant ceux qui appartenait à la classe de référence comme l’élite était le modèle. Les pressions sociales, l’église, les gens se résignaient à leur statut. Ils acceptaient.

RT – On ne peut pas tout leur reprocher. Beaucoup de choses nous arrêtent. C’est le travail d’une vie.

OS – On ne peut pas leur reprocher mais le problème est que cela n’est pas évident du moment que l’on croit que c’est impossible de changer. Alors qu’il suffit de croire que cela est possible pour voir les choses changer dans son sens. Il suffit de revendiquer, d’avoir la volonté de faire les choses différemment. Une erreur ouvre une source presque infinie de possibilités, car dès le début on est dégagé de tout obligation de réussite et on prend alors une voie inattendue. J’ai fais beaucoup d’études en partie à des fins d’écriture et de cinéma. Pour moi aujourd’hui les sciences humaines ont perdu du terrain et les connaissances qui ne devaient servir qu’a des fins de création sont désormais en berne.

RT – Au final, quel est le secret ? Que la cordonnerie ouvrirait les voies universelles de la connaissance ?

OS – Exactement, la cordonnerie organiserait des discussions sur les problématiques existentielles.

RT – Il existerait une loge humaniste des cordonniers ?

OS – Pas encore. Je suis ouvert depuis 7 ans et j’ai un succès fou et ce n’est qu’un début. J’avais repris cette affaire avec un ami de fac qui n’a pas tenu le coup. Maintenant, l’idée du café philosophique est d’utiliser le temps libre en fin de journée et le week pour organiser des reunions dans la boutique pour des discussions à caractère humaniste pour une vie enthousiaste.

Le temps est notre alliée.

 

Conversation entre Romaric Tisserand & Pierre-Marie Oum Sack,

Mars 2012

 

( Cordonnerie BLOMET, 64 rue Blomet, 75015 Paris )

 

FIGURE is a Paris-based cultural journal featuring art, design, music, architecture, nature, photography, medias, gastronomy, style, sport and art de vivre investigations.

Biannual and bilingual, each issue features 10 portraits of anonymous, emerging, famous or iconic personalities. We are very specific about the artist selection as we would like it to be as rich and diverse as possible. We like to see FIGURE as the ideal diner party casting. 5000 copies of the magazine are distributed in key bookshops, galleries, museums and concept stores in France around the world.
The first issue is coming out next June 2012.


The casting of the 1st issue is:

– FERRAN ADRIÀ (SP – chef )
– ASAKO NARAHASHI (JP – photographer)
– JONATHAN ZEBINA (FR – football player / art collector )
– LAFAYETTE (FR – pop singer)
– RACHEL DE JOODE (NL- artist / photographer)
– CHARLOTTE CHEETHAM (FR- curator, art director)
– THIERRY ARDISSON (FR , magazine publisher / tv presenter )
– FAMILLE BESSE (FR- anonymous family)
– PIERRE-MARIE OUM SACK (FR- shoemaker / philisopher)

webiste : http://www.figure-magazine.fr/

ENGLISH VERSION

 

PIERRE-MARIE OUM SACK, OR THE PHILOSOPHICAL LIFE OF AN ENTHUSIATIC COBBLER (STANDING ON ONE’S OWN TWO FEET)

Conversation between Pierre-Marie Oum Sak and Romaric Tisserand, wearing beautiful shoes ready for a long walk.

Pierre-Marie Oum Sack is a cobbler and shoemaker who likes working with shoes and men. He has exercised this talent since he discovered he has a patience and virtue that only a love of forms and custom-made shoes invokes. Born in Yaoundé in Cameroon in 1964, he came to Paris to study philosophy at the Sorbonne and sociology at Université de Paris V, and simultaneously began an apprenticeship as an orthopedic shoemaker, in order to alleviate the sufferings of body and mind. He tells us his thoughts on the world today, the notion of liberty and the urgency of finding new tools to think with. « People have learnt how to have but not how to live, » he says. And whose fault is this? The contemporary disconnections in which we have got lost: time (lost), nature (rationalized), and other people (digitalized).

 

One has to go back to 1599 to encounter the last known philosopher-cobbler, Jakob Böhme (1575–1624), one of the enlightened minds of his time, who practiced both the perfection of his craft and the mind. But he is too mystical for Pierre-Marie Oum Sack, who sees himself as a cobbler-philosopher through the virtuous prism of contemporary sociology. His relationship with the world excludes the mysticism and the divine of his illustrious forebear. Pierre-Marie Oum Sack prefers free-thinking and the notion of enthusiasm as the fundamental tools of human progress.

When he talks about the question of being oneself, he talks about the difficulty of being oneself, of being in this world and the absolute necessity for others. « Standing up by oneself » is his philosophical walking stick: being in the world and being a world oneself.

When I point out that in the window of his shop there is a portrait of Nelson Mandela tattooed on a leather-clad motorcycle helmet, Pierre-Marie Oum-Sack immediately surpasses the question of his Africanness to focus on the universality of Mandela’s combat. He reveres Franz Fanon and Aimé Césaire, but feels closer to the German philosophers he discovered in Paris. He didn’t discover the African thinkers, little published and difficult to find, until much later. He finds his black identity in hope, in the practice of his art and his free, autonomous thinking, not in the cold, critical mind but in the mind that discerns, assembles and constructs. The subject of his philosophy thesis at the Sorbonne was Enthusiasm. He envisages man’s autonomous and founding thought, far from the notion of wisdom within which western man is constantly confining African man. Because in his view wisdom is profoundly too political and moral, and finally excludes all free-thinking because it cannot be contradicted.

It was mending shoes that enabled him to meet people, to develop his vision of the world and master the techniques of his trade: glazing, patinas, repairing and conversation. Because Pierre-Marie Oum Sack talks a lot, questions a lot. In his small cobbler’s shop and philosophical bookshop in rue Blomet in the 14th arrondissement, he shares his art and works with an architect friend on the design of future philosophical models: the Schopenhauer moccasin, the Rousseau boot, the Aristotle derby, the Nietzsche buckle.

When I ask him why he hardly makes any made-to-measure shoes anymore, he replies irrevocably: « Because customers no longer know how to wait. »

RT – Why study philosophy and sociology just to work with shoes?

OS – When I was at the Sorbonne, I spent everything I had in shoe shops. They were always delighted to see me, saying that sartorial Africans had taste, but they were really just good salesmen. This revolted me because it reduced me to a mere division, especially because I liked things that I couldn’t make myself. I remember buying a sublime pair of crepe shoes made in the 1930s, which had unfortunately hardened with time. So I took them to an august Parisian shoe repairer, who literally destroyed them. So I asked to see the boss, who came out in his tie and immaculate white blouse and said to me: « We did what we could, all we could. » And as I left I said to myself that I had to learn his craft so that I could make my own shoes.

RT – Where did this desire for leather and forms come from?

OS – Out of a passion for the wellmade, for the beautiful, for craftsmanship – a spirit of perfection quite close to the philosophical process if one looks closer. I have a personal collection of at least a hundred pairs of shoes, which I wear, and it’s also because I’m to some extent a self-taught shoemaker that I have great freedom. When I wanted to learn this craft, I went to see several shoemakers and none of them had the time to train me. They advised me to learn podo-orthotics, which is close to bootmaking because it’s custom-made applied to a precise disability or deformity. I learnt techniques and I saw sublime creations such as these tiered shoes, which are far more complicated than anything custom-made. Some even fitted into each other. It was art.

RT – In the end a shoe is a very intimate object. Can a special bond form between you and the person who gives you his shoes to be repaired?

OS – The intimate notion of the object isn’t clear unless the owner himself has an almost fetishist relationship with his shoes, and providing he is prepared to divulge this. Touching, handling and smelling is important. The slightest graze is as if you’ve wounded the shoe. On the other hand, some customers bring me shoes in a pitiful state and expect me to heal them. Given my career, I don’t have the same vision of my profession as a cobbler who has only ever done that. There are craftsmen who have very aesthetic and even spiritual approaches to their work. The others merely make a basic, economic calculation, and the most profit-making formula is to have a tiny shop, never chat with your customers and work, work, work… Whereas I lose time talking with people. In fact, I regain lost time by exchanging, asking questions. I usually ask people what they do, about their job, their projects, which also gives me reasons for being there.

RT – Do you regard shoes as extensions of the feet, of walking, of movement and wandering in the world?

OS – Shoes have always fascinated me because they enable us to go further than where we are. But don’t they fascinate you more because you are more aware that your feet are surrounded, that something is protecting you?

RT – I don’t know. Today I’m wearing a pair of Zizi Jeanmaires by Repetto. I wear them because I want to forget them. When I wear Lobb double buckles or a pair of Norvegian-stitched, it’s to adhere to the world or be on a platform. I also have a pair of English jodhpurs, which are a more aesthetic experience in a more delicate shoe. Maybe there’s a reason for this.

OS – There isn’t as yet any theory of accoutrement, either in general or in sociology. But how is it that someone can represent themselves just as well in a pair of shoes as in a hat or jacket?

RT – Shoes are also status symbols. Society sells us success and fame and shoes are part of this. But don’t we really want just to live barefoot?

0S – We are so cornered by other people’s images of us that we no longer look at ourselves and we suffer terribly from this. Our rapport with nature, with the living, has enormously deteriorated. The shoe is something of a breakaway from all this.

A Polish writer wrote this about happiness. It’s the story of a walker who comes across a man beneath a street lamp who appears to be looking for a lost object. He asks the man what he’s looking for. The man says he’s lost the key to his house and can’t get back in without it. So the walker offers to help him find it and they search everywhere around the street lamp in vain until the walker finally asks the man where he lost his key. “Over there,” the man replies, pointing to somewhere unlit further away. “Why don’t we go and look over there then?’ the walker says. And the man replies, “Because it’s dark over there.”

RT – Have you read all these books on the shelves? Are they threads towards a future essay, manifesto or novel?

OS – No, as usual, I haven’t read them all. They’re books that are part of my intellectual landscape and which I gather here. They are there to shine and make themselves available. My reading method consists in relating everything I read to my work and intellectual intuitions, which are linked to enthusiasm, politics and genius.

I’m working on a philosophical essay on genius and also on a novel. I always have a notebook with me when I’m at work. When I was studying sociology and philosophy I worked on the Hegelian conception of Christianity and in sociology on enthusiasm, and both themes are still very alive for me.

RT – Enthusiasm is very intuitive and seems ill-adapted to academic philosophical thought.

OS – Enthusiasm was a subject that hadn’t been theorized. I started with its original meaning, that enthusiasm is the state of being haunted by powers. My favorite philosopher is the German philosopher Hegel. German idealism is a critical philosophy that seeks to elevate philosophy to the same level as science, with the will as founding element of the intellect. Idealism is thought that thinks itself, that reflects itself, which is autonomous and doesn’t want to depend on an exterior power. The enthusiast is haunted by vigorous thought. And so one comes back to Hegel.

RT – The process of thinking is still a very western practice, whereas we automatically think of Africa as a continent of ancestral wisdom.

OS – Yes, in European philosophy, in the way it is formulated and taught. But philosophy differs from wisdom in that wisdom espouses a morality, intangible, non-critical and uncriticisable. Wisdom is wisdom, period. It is dogmatic.

Hegel believed that thought is capable of transforming the world, an anti-Christic philosophy in which the divine is no longer power but reason. It was Descartes who prepared the way for this and the German philosophers perfected these Cartesian intuitions. In this respect, I’m no longer in the divine but in Socrates’ demon, in my own inner demon. For Hegel, it is this demon that is in determination, in the abstract, and which enlightens the path of life. Therefore the finality of this philosophy is that man obtains liberty because man is his own soothsayer, his own genius.

So enthusiasm is the accomplished life of this man in motion haunted by his demon, in which Nietzsche sees two branches, oscillating between the anger of the Apollonian spirit and the ecstasy of the Dionysian spirit. Because enthusiasm can also be cold and lackluster. Take the monk in his cloister for instance: you can’t say he isn’t haunted by God, that he isn’t an enthusiast, but there’s no effervescence.

RT- There’s a book well in evidence in your shop window that’s a rather unexpected reference.

OS – Yes, « The Mismeasure of Man » by Stephen Jay Gould. It reveals and dismantles all the mechanisms of racism and biological determinism. I put it in the window because it’s a fundamental book that sums up what we have become. It explains all the ideologies that have led to intelligence tests, biometry, taxonomy, categorizations of delinquents and a priori definitions of criminal physiognomies – and of course the racial classifications that have provided justifications for all modern racist ideologies. The intelligence test is the most contemporary and insidious and it is now being used in the corporate world. A great philosopher said that man is the measure of man, but I would say that man is the mismeasure of man. Nothing we have done so far has enable us to avoid the world’s catastrophes, to appropriate without taking stock of what is at stake in life.

RT – You mentioned biometry. I’m very interested in archive photography and I’m fascinated by prison archives, the frontal and profile “mug shots” of detainees and suspects, and how in the end it is we that have created these criminal faces.

OS – The interesting thing is that Stephen Jay Gould is a biologist not a criminologist. His is a science of classification. I don’t believe intelligence is something that exists a priori, inherent in the intellect of some but not others. Intelligence is coming to an agreement with life, because man isn’t intelligent on his own. It takes two to be intelligent, and as long as this interaction and its contradictions ensure the creation and permanence of the communal. In 1990s, the idea of a new concept, emotional intelligence, took root and sought to replace the periodical classification of the I.Q. with the more politically correct value of emotion, which in the end was the big loser in all this. Protocols get more refined and terror endures…

RT – You repair shoes and you open a café-bookshop in your cobbler’s shop. It’s so unexpected that it can only succeed…

Of course. People think it’s impossible because it’s improbable, then realize that it’s possible and are attracted to it. Because they too are looking for a new lease of life.

I see a certain gratuitous violence today, like someone who suddenly goes out and buys a knife and starts stabbing people in the street.

Today people want to resemble what they’re not, and think they know where they can be what they’re not. Before, people justified their position. In sociology, there is the reference class and the class of belonging, and before those belonging to the reference class such as the elite were the model. Social pressures, the Church, people were resigned to their status. They accepted.

RT – In the end, what’s the secret? That mending shoes can open universal paths of knowledge?

OS – Exactly. Cobbling can organize discussions on existential problems.

RT – Could there be a humanist lodge of cobblers?

OS – Not yet. I’ve been open for seven years now and the success I’ve had is only a beginning. Now, the idea of the philosophical café is to use free time at the end of a day or week to organize meetings in the shop for humanist discussions leading to an enthusiastic life. Time is on our side.

www.figure-magazine.fr

About Icaarlamarck

Romaric Tisserand is a visual and performance artist. His work is focused on new perspectives and practices in photography and contemporary culture, developing online exhibition like 3360 MoMO from M to O (1120times.com) or AAnonymes, the search of the deliberated accident (2005-2009) and new media supports. He has supported and coordinated a series of non-western and emerging artists, as well established artists: from Lise Sarfati’s in Roma at the Villa Medicis to Samuel Fosso’s monographic show at Rencontres d’Arles. He is creating a plumber shop gallery, MoMO Galerie, since 2010. Since, he is involved in artistic direction and production partnership with the studio and magazine Momologue.