MONOCHRONES ( REMIX-COPY-PASTE )

Texte de Valérie Jottreau sur le travail photographique « Monochrones » réalisé par Romaric Tisserand

Pensée visuelle

Le statut complexe, ambigu et renforcé de l’image contemporaine nous oblige à interroger à nouveau des modalités de lecture, à reposer la question de son sens et de notre rapport au monde à travers sa médiation. Le projet Monochrones s’attache à questionner l’image et à sa capacité à représenter le monde, notamment dans son rapport à l’histoire, au fait historique, à « l’événement ». La relation qui se tisse entre l’image « document », l’image témoin et l’image « construite », ou encore l’image fictionnelle est marquée par une frontière infra-mince. Cette relation a suscité de nombreuses études, recherches, démarches qu’il serait trop long de citer ici. Monochrones propose donc une nouvelle contribution à une pensée du visuel, à travers un dispositif où des images de notre histoire contemporaine se donneront à voir dans un dispositif interactif numérique.

Histoire(s) contemporaine de l’image

La visualité est en passe de devenir le mode majeur de notre appréhension du réel. Le développement des technologies numériques, et des modes de diffusions en flux, en réseaux, la « portabilité » convoquent toujours plus notre perception visuelle, et modifient notre environnement, de plus en plus marqué par la profusion d’écrans chargés de diffuser un flux illimité d’images. Les images se consomment et se propagent dans le champ médiatique sans contraintes apparentes. Dans ce contexte, l’image construit, fabrique le fait historique autant qu’elle en témoigne. A partir de ce constat, déjà largement commenté ailleurs, mais probablement à réinvestir dans une problématique plus large liée au numérique, la question du statut de l’archive photographique se pose dans sa relation à l’histoire, à son écriture, à la construction d’une représentation de l’Histoire.

Archéologie de l’image / L’image révélée

Au delà de sa valeur « représentative », «descriptive», « documentaire», la lecture d’une image photographique interroge « sa matière ». Traces, signes, trames points, pixels, cristal d’halogénure d’argent la constituent et composent, proposent en quelque sorte des strates physiques ou digitales, une sorte de méta représentation, au delà du directement perceptible, mais qui n’en forme pas moins un territoire, une image mentale. A partir de ces signes, plus ou moins indiciels, la lecture peut s’apparenter à un processus constant de construction, et de déconstruction. Voir une image serait donc reconnaître, et tout autant méconnaître. C’est ce mouvement que Monochrones propose de reproduire. Une boucle visuelle de l’image perçue comme pleine de sens, chargée d’histoire, de références à l’image résiduelle, évidée.

L’image source / image résiduelle

Les séries Monochrones sont réalisées à partir de tirages originaux rassemblés, collectés au cours des quatres dernières années qui parcourent les grands moments de l’histoire moderne (dictateurs, conquêtes spatiales, honneurs et médailles, violences et morts, politiques et guerres…). Le corpus est constitué de photographies qui s’inscrivent dans l’histoire contemporaine. Acquises par Romaric Tisserand, elles ont été sélectionnées pour leur résonance spécifique et singulière, « marquées » par leurs nombreuses publications dans la presse. « surmédiatisées » ou volontairement censurées, « confisquées » du champ des médias ( explosions atomiques dans le Nevada, pendaisons de noirs américains en 1930 à Manson, Fidel Castro à la Havane le 8 janvier 1959…), ces images semblent appartenir à « une mémoire visuelle collective ».

Épuisement mécanique de l’image

« Monochrones », propose à partir d’une image source, un épuisement de la matière même de l’image à travers un travail sur la série basée sur la reproduction. A partir d’un traitement à la photocopieuse, une modification de l’image opère peu à peu et nous écarte de la source, nous distancie d’elle et nous « donne accès » à une image résiduelle, autonome, détachée de l’événement « source » proposant ainsi un espace ouvert, porté vers la narration, la rêverie, l’imaginaire… De l’image source, on arrive après ce processus d’épuisement à des images abstraites composées de points, traits, traces, signes, agglomérats ou étendues qui constituent une rythmique graphique « détournée » de sa valeur historique ou documentaire, de sa valeur de témoignage. La captation de l’événement historique, et la « marque » du réel qu’elle implique est réduite à une trace graphique, non datée, autonome, monde cellulaire illisible.

La copie d’une copie devient un original ( remix-copy-paste )

Partant du postulat qu’une copie d’une copie est un original, chaque image est photocopiée selon un protocole bien précis défini par l’auteur. La photocopie est manipulée une nouvelle fois pour générer une nouvelle image, et ceci est réitéré jusqu’à obtenir « un épuisement de signes ». Ces séries constituent la base de données du projet qui portera dans sa forme numérique le même nom « Monochrones ».

( 2011 )

All images © 2011 Romaric Tisserand  ( www.romarictisserand.com )

About Icaarlamarck

Romaric Tisserand is a visual and performance artist. His work is focused on new perspectives and practices in photography and contemporary culture, developing online exhibition like 3360 MoMO from M to O (1120times.com) or AAnonymes, the search of the deliberated accident (2005-2009) and new media supports. He has supported and coordinated a series of non-western and emerging artists, as well established artists: from Lise Sarfati’s in Roma at the Villa Medicis to Samuel Fosso’s monographic show at Rencontres d’Arles. He is creating a plumber shop gallery, MoMO Galerie, since 2010. Since, he is involved in artistic direction and production partnership with the studio and magazine Momologue.